DES MOTS POUR UNE CHANSON
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DES MOTS POUR UNE CHANSON

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 agisme

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clay77
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MessageSujet: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:23

Le recours à l’âge comme critère d’allocation d’avantages économiques, sociaux et politiques, d’attribution de responsabilités ou d’octroi de droits et privilèges constitue une caractéristique omniprésente de la société américaine. L’âge est utilisé ouvertement par les lois et les politiques publiques afin de définir ceux qui doivent aller à l’école, ceux qui peuvent voter, ceux qui peuvent devenir pompiers ou policiers, ceux qui ont droit à l’aide médicale publique, ceux qui peuvent être dispensés de siéger dans un jury, etc. Dans la vie de tous les jours, l’âge conditionne, implicitement mais fortement, la manière dont nous réagissons et interagissons avec des personnes plus jeunes ou plus âgées que nous. C’est le facteur qui éveille l’attirance sexuelle ou au contraire qui l’anesthésie, qui détermine la bienséance dans notre tenue vestimentaire et notre présentation, et bien d’autres choses encore (Eglit, 2004).
Le plus souvent, l’utilisation du critère de l’âge est inoffensive et ne suscite ni approbation ni réprobation. Certains emplois récents de ce critère sont toutefois pour le moins problématiques, et quelques-uns ouvertement blessants. Dans tous les cas, la caractérisation appropriée est souvent subjective, chacun voyant midi à sa porte, comme le dit le proverbe. Ainsi, aux États-Unis, nombre de programmes fédéraux, et en particulier Medicare, servent des prestations aux personnes âgées exclusivement. Pour ces dernières, ces programmes sont salutaires, mais les nécessiteux qui n’ont pas encore atteint l’âge requis (généralement 65 ans ou un peu plus) peuvent légitimement arguer que ces programmes opèrent une discrimination inéquitable en les disqualifiant uniquement pour des raisons d’âge. Autre exemple, bien que plus commun, de l’ambiguïté associée à la caractérisation des distinctions fondées sur l’âge : les lois des États interdisent aux jeunes de moins de 16 ans de passer leur permis de conduire. Du point de vue des adultes, empêcher les jeunes de conduire est une mesure préventive raisonnable. Du point de vue des adolescents de 14ans, ces lois sont bien évidemment perçues comme des limites injustes, des privations que leur imposent des adultes autoritaires et répressifs.
Dans le monde du travail aussi, les politiques et les pratiques en fonction de l’âge peuvent s’avérer conflictuelles. Ainsi, d’un côté, on peut avancer que l’âge de la retraite obligatoire porte indûment préjudice à des hommes et des femmes irréprochables et ne tient pas compte de leurs capacités individuelles à accomplir leur travail. D’un autre côté, on peut défendre cette pratique en invoquant un certain nombre de motifs : elle libère des emplois pour les jeunes qui peuvent ainsi progresser dans leur carrière, elle évite aux employeurs d’avoir à juger individuellement les salariés d’un certain âge et d’avoir à annoncer à certains qu’ils ne sont plus aptes. Le départ de travailleurs qui, du fait de leur ancienneté, sont généralement bien rémunérés s’en trouve facilité, ce qui permet à l’entreprise d’améliorer son résultat net.
Quelle que soit la façon dont on qualifie le recours aux classifications fondées sur l’âge en général, le fait qu’elles soient facilement acceptées distingue ce critère des autres caractéristiques personnelles dont l’évocation est habituellement plus sévèrement condamnée : la race, l’appartenance ethnique, la religion et, dans de nombreux cas, le sexe, qui engendrent racisme, xénophobie, conflits religieux et sexisme. Ces préjugés extrêmes sont considérés comme totalement injustifiables dans la société américaine contemporaine. On en déplore l’utilisation et on les considère à juste titre comme des fléaux relevant de l’irrationnel et de valeurs dévoyées. En revanche, le recours à l’âge comme motif de décisions privées ou publiques, de mesures adoptées par les pouvoirs publics ou l’entreprise, ainsi que de lois fédérales, des États et des collectivités locales, aboutit à des jugements nettement plus ambivalents.
S’en référer au critère objectif de l’âge pour déterminer qui inclure et qui exclure, comme le fait Medicare, peut raisonnablement se justifier par la volonté de réduire au minimum les abus implicites des bureaucrates habilités à exercer un pouvoir discrétionnaire. En outre, les comportements fondés sur l’âge, en particulier les stéréotypes et les attitudes négatives vis-à-vis des personnes âgées, sont parfois confortés par certaines pratiques de la vie courante [1].
Nonobstant cette ambiguïté, il existe une limite à ne pas dépasser lorsque l’on rationalise l’omniprésence des distinctions fondées sur l’âge. Le critère de l’âge comme base d’attribution des prestations et des avantages, ou à d’autres fins, peut se révéler préjudiciable, notamment pour des hommes et des femmes qui n’ont rien à se reprocher et qui se retrouvent injustement qualifiés de « trop vieux ». Malheureusement, il est plus facile de déplorer que l’âge soit utilisé comme facteur discriminant pour une prise de décision et comme critère d’attribution invoqué à l’encontre des « trop vieux » que de mettre un terme à cette pratique. L’âgisme à l’encontre des personnes âgées (old-ageism [2] ) en particulier, est ancré dans la société américaine, comme il l’est dans la coutume et dans la législation de tous les pays développés [3]. Notons par exemple que la langue anglaise, comme la française, comportent une multitude d’épithètes négatives qui sont négligemment utilisées dans le langage de tous les jours pour désigner de manière péjorative les hommes et femmes âgés : « vieux schnoque, hors-service, passera-pas-l’hiver, pépé, papy, grand-père, vieillard, vieux croûton, fossile, ancêtre, sénile, croulant, décrépit, vieillerie, vioque, antiquité, délabré », et la liste serait encore longue (Eglit, 2004, p. 11). En revanche, on ne trouve en anglais quasiment aucun terme péjoratif pour décrire les jeunes, et encore bien moins les personnes d’âge moyen !
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:23

Bien entendu, les signes d’antipathie envers les personnes âgées ne se limitent pas à la seule énumération de termes déplaisants : « Il apparaît clairement dans les magazines, à la télévision, au cinéma, dans les publicités et dans les conversations, tant publiques que privées, que les Américains sont sans cesse incités à aspirer aux qualités typiquement associées à la jeunesse : peau lisse, cheveux soyeux, corps musclé et élancé, allure athlétique, performances sexuelles, acuité mentale. Or, il est quasiment impossible pour une personne âgée d’être perçue comme physiquement attirante. Pour l’essentiel, les médias populaires, tant la presse écrite que la télévision, se concentrent presque exclusivement sur l es non-vieux : leurs amours, leurs occupations, leurs maisons, leurs opinions, etc. Les manifestations sportives qui passionnent des millions de spectateurs chaque semaine véhiculent, incidemment mais avec force, toujours le même message : la plupart de nos sportifs préférés présentent au moins une caractéristique commune : ils ne sont pas vieux [...]. Il n’est pas surprenant de constater que les personnes âgées sont rares dans les films, les magazines et les programmes de télévision (à l’exception des émissions politiques). Dans les médias populaires, les aînés sont présentés soit comme des victimes, soit comme des gens capricieux, réfractaires au changement, lents mentalement, frêles physiquement, sexuellement impuissants, distraits et/ou acariâtres. En bref, les personnes âgées sont presque invariablement dépeintes comme étant au mieux pathétiques, au pire désagréables, voire détestables [...]. » (Eglit, 2004, p. 10-11).
Cependant, les personnes âgées ne sont pas les seules à subir des préjudices du fait de leur âge. Dans le monde du travail, non seulement les hommes et les femmes de plus de 60 et de 70 ans sont victimes de discrimination du fait de leur âge, mais aussi des personnes de 50 ans, voire de 40 ans [4]. Ayant constaté à maintes reprises la difficulté des travailleurs de plus de 40 ans à retrouver un emploi, le Congrès des États-Unis a voté en 1967 la loi réprimant la discrimination fondée sur l’âge dans le monde du travail ( Age Discrimination in Employment Act – ADEA) [5], qui protège les personnes de 40 ans et au-delà.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:25

■ Les personnes âgées dans le monde du travail La loi réprimant la discrimination fondée sur l’âge dans le monde du travail (ADEA) de 1967 :genèse et vue d’ensembleAu début des années soixante, on a commencé à s’intéresser aux États-Unis à une question qui n’était pas perçue, jusque-là, comme un problème national requérant une solution dans le monde du travail : la discrimination envers les travailleurs âgés. Sans aucun doute, cette prise de conscience croissante de la question de l’âge reflétait un regain d’intérêt général pour les questions d’égalité, résultant des efforts des ardents défenseurs des droits civils qui combattaient le racisme dont étaient victimes des millions de Noirs, en particulier dans les États du Sud. Sur le plan législatif, la lutte contre le racisme a culminé avec l’adoption de la loi fédérale sur les droits civils (Civil Rights Act) de 1964 [6] et, en 1965, de la loi relative aux droits politiques du citoyen (Voting Rights Act [7] ). La première s’intéresse directement au monde du travail : elle interdit la discrimination en fonction de la race, de la couleur, de l’origine nationale, de la religion et du sexe dans les entités d’au moins quinze salariés.
Pendant les débats du Congrès sur la loi de 1964, on a tenté d’ajouter l’âge à la liste des motifs prohibés. Mais cette tentative ayant échoué, le Congrès a demandé au secrétaire au Travail des États-Unis de mener une étude afin de déterminer l’ampleur de la discrimination fondée sur l’âge dans le monde du travail et de recommander des actions si nécessaire. Dans son rapport de 1965, le secrétaire a indiqué que les travailleurs de plus de 40ans étaient bien victimes de cette forme de discrimination, tout comme les travailleurs plus âgés. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un problème répandu, en particulier à l’embauche, et il a recommandé qu’une action soit engagée au niveau fédéral (Wirtz, 1965). Deux ans plus tard, à la demande du président Lyndon B. Johnson, le Congrès a adopté l’ADEA, texte déjà complexe, que de nombreux amendements ultérieurs ont rendu encore plus compliqué (Eglit, 1995).
L’ADEA s’applique aux moyennes et grandes entreprises américaines opérant sur le territoire des États-Unis, aux entreprises étrangères opérant sur le sol américain et qui n’en sont pas dispensées par des traités, aux entreprises américaines employant des Américains à l’étranger et aux entreprises étrangères aux mains d’intérêts américains opérant en dehors des États-Unis, mais uniquement en ce qui concerne les ressortissants américains. Elle interdit (à quelques importantes exceptions près, que nous examinerons plus loin) quasiment toutes les décisions et actions fondées sur l’âge concernant le monde du travail, la publicité discriminatoire et les représailles à l’encontre des personnes qui cherchent à faire valoir leurs droits aux termes de la loi ou qui aident des tiers à faire valoir les leurs. L’interdiction principale (mais pas la seule) posée par ce texte est la suivante : « L’employeur enfreint la loi s’il : n’embauche pas, refuse d’embaucher, congédie un individu ou opère tout autre une forme de discrimination à l’égard d’un individu en termes de rémunération, de contrat de travail, de conditions de travail ou de privilèges de l’emploi en raison de l’âge de cet individu; limite, distingue ou classe ses salariés de toute manière revenant à priver ou à tendre à priver tout individu d’opportunités d’emploi ou à nuire d’une autre manière à sa situation de salarié, du fait de l’âge de cet individu [...] » [8].
Ces propos sont manifestement généraux. Mais, comme toute loi, l’ADEA est le produit d’un compromis politique. Et, pour ainsi dire, ce que le Congrès donne d’une main – une protection apparemment complète des travailleurs âgés –, il le reprend en partie de l’autre, par le biais de dispositions qui limitent la portée de cette loi.
Il est particulièrement important de noter que l’ADEA limite ses interdictions aux seules entités qui emploient au moins vingt salariés pendant au moins vingt semaines sur l’année calendaire en cours ou précédente. Par conséquent, des centaines de milliers de petites entités, et donc leurs salariés, ne sont pas concernées par cette loi (et ce scénario se répète au niveau des États, car la plupart des lois analogues contre la discrimination qui y sont adoptées excluent aussi les petites entités). Pourquoi ? Il semblerait que les rédacteurs du texte aient pensé que les petites entreprises auraient à supporter des coûts trop lourds pour elles si elles devaient ponctuellement être la cible de personnes se prétendant victimes d’une discrimination fondée sur l’âge. En outre, on est apparemment parti de l’idée que, dans les petites entreprises, les salariés et les propriétaires se côtoient quotidiennement et qu’il fallait éviter entre eux, sur le lieu de travail, les occasions de conflit que ne manquerait pas de provoquer l’application de la loi.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:25

Et même pour les employeurs concernés par l’ADEA, un certain nombre de dispositions autorisent des actions et des décisions fondées sur l’âge, ce qui remet en cause la sévérité affichée des interdictions. Ainsi, puisque seuls les individus d’au moins 40 ans sont protégés par la loi, les actions discriminatoires telles que le refus d’embaucher une personne de 39 ans ou la rétrogradation d’un individu de 37 ans, bien que rares, sont autorisées. Si les rédacteurs ont refusé d’inclure les personnes de moins de 40 ans, c’est parce qu’ils étaient persuadés – en partie du fait du rapport, déjà évoqué, du secrétaire au Travail des États-Unis – que les femmes et les hommes plus jeunes n’étaient pas victimes de discrimination fondée sur l’âge et n’avaient donc pas besoin d’être protégés par la loi.
En outre, l’utilisation du critère de l’âge ne viole pas la législation « lorsque l’âge constitue une qualité professionnelle réellement nécessaire au fonctionnement normal de l’activité de l’entreprise » [9]. Ainsi, par exemple, si une société d’autobus privée qui propose des services de ramassage scolaire interdit l’embauche de chauffeurs de plus de 55 ans, elle ne sera pas accusée de discrimination aux termes de l’ADEA si elle peut prouver, d’une part, que son activité normale consiste à transporter des enfants en toute sécurité et, d’autre part, que le fait d’être âgé de moins de 55 ans constitue un critère réellement requis pour remplir cette fonction, les personnes plus âgées risquant des accidents cardiovasculaires soudains (accidents vasculaires cérébraux ou infarctus du myocarde) [10]. Cet argument est généralement interprété de façon stricte par les tribunaux qui n’acceptent pas que des entreprises invoquent les économies de coûts ou l’augmentation des bénéfices pour justifier la qualité professionnelle réellement requise. En d’autres termes, un employeur ne peut pas raisonnablement avancer que l’activité normale de son entreprise est de survivre et qu’il doit par conséquent utiliser une mesure ouvertement discriminatoire. Ainsi, pour se séparer de salariés de plus de 50 ans, il ne peut prétexter que leurs rémunérations sont supérieures à celles des jeunes. En revanche, les raisons de sécurité – telles que l’argument invoqué à propos des chauffeurs de bus de ramassage scolaire – sont considérées plus favorablement par les juges qui ne souhaitent généralement pas contester les décisions des employeurs. Ils craignent en effet que, par la suite, le demandeur d’emploi d’un certain âge, réintégré à son poste sur décision du tribunal, ou le salarié d’un certain âge, réembauché sur décision de justice après avoir été licencié, ne provoquent un accident grave (Eglit, 1995).
Une exception, dont nous parlerons de façon plus détaillée dans la suite de cet article, autorise un traitement différent des individus « lorsque cette différenciation repose sur des critères raisonnables autres que l’âge » [11]. Certaines dispositions légitiment d’autres actions et décisions qui pourraient, sinon, violer les interdictions de la loi. Ainsi, un traitement différentiel sera légal s’il obéit aux modalités d’un « régime légitime d’avantages sociaux pour les salariés [...] dans lequel, pour chaque prestation ou ensemble de prestations, la somme véritablement versée ou le coût supporté pour le compte d’un travailleur âgé ne sont pas inférieurs à ceux destinés à un travailleur plus jeune » [12]. Cette disposition montre qu’il est admis que certaines prestations accordées aux salariés – en particulier l’assurance maladie et l’assurance vie payées par l’employeur – coûtent plus cher dans le cas des travailleurs âgés que dans celui des jeunes.
Compte tenu de ces limitations aux interdictions énoncées dans la loi (et il y en a d’autres, bien qu’elles soient pour la plupart de moindre importance, telles que celle qui interdit aux membres d’organisations subversives de se prévaloir de la protection de la loi), on est en droit de conclure que l’ADEA tolère bien davantage les discriminations fondées sur l’âge prises par les employeurs que ne le fait son pendant, le Titre VII de la loi sur les droits civils de 1964, pour les décisions que les employeurs pourraient tenter de prendre sur la base de la race, de la couleur, de l’origine nationale, de la religion ou du sexe. Cette différence entre les deux textes cadre bien entendu avec l’idée généralement admise (mais pas forcément juste) selon laquelle les décisions fondées sur l’âge doivent être moins sévèrement condamnées, car elles ne sont pas le fruit d’une profonde animosité, contrairement au racisme, à la xénophobie ou à l’intégrisme religieux (Wirtz, 1965). La rigueur toute relative de l’ADEA reflète également le stéréotype répandu – bien que problématique lorsqu’il prend des formes violentes, comme nous y reviendrons plus loin – selon lequel les personnes âgées ne sont pas capables des mêmes performances que les travailleurs plus jeunes, et donc qu’une protection pleine et entière n’est pas justifiée dans leur cas. Là encore, accepter que les femmes et les hommes d’un certain âge sont moins aptes constitue une manière de se démarquer du Titre VII, selon lequel la race, l’origine nationale et la couleur de peau n’ont absolument aucune relation avec la capacité à contribuer à la vie sociale en général, ou au monde du travail en particulier.
L’ADEA employant une formulation juridique particulière, les tribunaux ont été saisis de milliers de demandes concernant la lettre de la loi. Nombre d’entre elles sont de nature technique et/ou procédurale, et sont liées à ce jargon juridique particulier (Eglit, 1995). La plupart des grandes questions de fond sont traitées et résolues, soit par un amendement à la loi, soit par la jurisprudence, de manière favorable tantôt aux employeurs, tantôt aux victimes.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:26

Si la Cour suprême des États-Unis ne l’a pas directement affirmé, il est généralement admis que le paradigme du Titre VII pour établir la discrimination intentionnelle sur la base de preuves circonstancielles – paradigme énoncé dans McDonnell Douglas Corp. v. Green [13] en 1973, et qui entre en jeu dans la très grande majorité des affaires liées au Titre VII et à l’âge – s’applique dans les affaires relatives à l’ADEA.
L’analyse d’impact discriminatoire, qui intervient lorsqu’une mesure ostensiblement neutre vis-à-vis de l’âge a des conséquences significativement négatives sur des personnes âgées, vient d’être déclarée applicable à l’ADEA, comme nous y reviendrons plus longuement par la suite. Toutefois, sa formulation particulière dans le cadre de l’ADEA est si peu contraignante que cette analyse ne sera pas d’une grande utilité pour les personnes qui se disent victimes de discrimination fondée sur leur âge.
Les préférences accordées aux personnes âgées, et refusées aux personnes plus jeunes, ne sont pas contraires à la loi.
Les procès devant un jury sont possibles aux termes de la loi.
Du fait que la loi ne s’applique qu’aux entités d’au moins vingt salariés, les véritables contrevenants, comme les chefs intolérants à l’origine des décisions discriminatoires en question, ne sauront être eux-mêmes tenus pour responsables.
Les tribunaux autoriseront la levée de la prescription définie dans la loi concernant le dépôt d’un dossier pour discrimination auprès de la Commission de l’égalité des chances dans l’emploi ( Equal Employment Opportunity Commission – EEOC) et l’engagement de poursuites, uniquement si les raisons sont équitables et convaincantes.
Aux termes de la loi, la réparation a pour objectif premier de remettre la partie lésée dans la position où elle aurait été si le tort n’avait pas été commis.
L’ADEA ne prévoit pas de dommages et intérêts à titre de sanction (qui vont au-delà de la simple réparation du préjudice causé à la victime)
et de dommages et intérêts compensatoires (pour la douleur et la souffrance).
Plus généralement, la jurisprudence révèle que la discrimination fondée sur l’âge est très difficile à établir [14], parfois simplement parce que les plaintes émanant de demandeurs d’emploi, de salariés ou d’anciens salariés sont tout bonnement sans fondement. Mais même pour une plainte qui semble justifiée, il apparaît très difficile de convaincre un juge. Cette difficulté tient au fait que les litiges portant sur l’emploi confrontent deux versions opposées de la « vérité ». Le juge ou le jury [15] doivent passer au crible des éléments de preuve contradictoires sur des événements et des décisions auxquels ils n’ont bien entendu pas directement assisté. Cette situation est courante : dans toutes les affaires juridiques, quelle qu’en soit la nature, le juge et/ou les jurés n’ont jamais une connaissance directe des événements qui ont conduit au procès. Toutefois, même dans ces conditions, en particulier ces dernières années, depuis que les tribunaux fédéraux comptent de plus en plus de juges plutôt conservateurs, on observe une réticence particulière à contester les décisions des employeurs.
Que ce soit parce que les faits montrent que ceux qui se disent victimes d’une discrimination fondée sur l’âge et qui intentent une action s’en sortent relativement mal (Eglit, 1997), ou parce que cette forme de discrimination résiste particulièrement bien aux coups de boutoir de la justice, elle persiste dans le monde du travail. Avant d’étudier les éléments qui confirment cette hypothèse et d’examiner certaines des idées et des facteurs sous-jacents responsables de cette persistance de la discrimination reposant sur l’âge, il convient de formuler une remarque positive. Malgré ses faiblesses, l’ADEA constitue, globalement, un instrument puissant qui possède sans aucun doute une force de dissuasion salutaire. Même s’il n’est pas possible de s’appuyer sur des preuves, la logique et le contexte juridique montrent que, dans le monde du travail, la discrimination fondée sur l’âge, du moins dans sa forme la plus flagrante, a effectivement reculé.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:26

Persistance de la discrimination fondée sur l’âgeC’est un lieu commun d’affirmer que les Américains sont procéduriers. Par comparaison avec la plupart des pays développés d’Orient ou d’Occident, il ne fait aucun doute que cette réputation n’est pas usurpée. En conséquence, l’adoption de lois interdisant la discrimination, tant au niveau fédéral qu’à celui de chaque État, repose sur l’hypothèse suivante : la plupart, sinon quasiment toutes les actions visant à faire appliquer les dispositions antidiscrimination incluses dans ces textes législatifs émaneraient de requérants engageant de leur propre initiative et à titre individuel un recours judiciaire à l’encontre d’employeurs coupables de partialité. Bien sûr, on espérait – espoir qui s’est en grande partie réalisé – que les employeurs allaient éliminer de leur propre chef la discrimination fondée sur l’âge de leurs entreprises et usines.
À l’évidence, toutefois, les discriminations persistent dans le monde du travail américain. En témoignent, en premier lieu, les milliers de dossiers pour discrimination liée à l’âge déposés chaque année auprès de la Commission de l’égalité et des chances dans l’emploi (EEOC) [16], organe fédéral chargé de la mise en œuvre de l’ADEA. Le dépôt du dossier constitue une première étape obligatoire pour les requérants qui souhaitent in fine demander réparation devant les tribunaux. En théorie, un dossier déposé auprès de l’EEOC devrait inciter l’employeur prétendument coupable de discrimination à mettre un terme à ses agissements et, de surcroît, conduire à une réparation (réintégration du requérant à son poste, meilleures conditions de travail), sans que le plaignant ait à prolonger cette démarche par une action en justice longue et coûteuse. En pratique, les dossiers déposés auprès de l’EEOC relèvent davantage du symbolique; ils aboutissent rarement à une quelconque réparation pour la victime ou soi-disant telle. Nombre de ces dossiers se révèlent infondés : ils sont déposés par des salariés ou des candidats à un poste qui s’estiment, à tort, objets de discrimination liée à l’âge, alors qu’en réalité, la décision négative prise à leur encontre repose sur des motifs objectifs. À l’inverse, et ce point mérite d’être souligné, nombre de personnes qui auraient des raisons valables de contester une décision ne déposent pas de dossier administratif, soit parce qu’elles ne connaissent pas leurs droits, soit parce qu’elles n’ont pas le courage ou la sécurité de l’emploi nécessaires pour risquer de défier leur employeur, soit encore parce qu’elles n’ont pas les ressources financières indispensables pour porter leur affaire devant les tribunaux. Par conséquent, elles ne prennent pas la peine de déposer le dossier auprès de l’EEOC, préalable nécessaire à une action en justice. En résumé, le nombre de dossiers reçus chaque année par l’EEOC, quoiqu’impressionnant, ne rend pas précisément compte de l’ampleur de l’âgisme sur le lieu de travail.
Une deuxième donnée empirique confirme la persistance de la discrimination fondée sur l’âge dans le monde du travail aux États-Unis : il s’agit des multiples affaires sur lesquelles statuent chaque année les tribunaux américains. S’il est vrai que, dans la majeure partie des cas, les personnes se disant victimes de violations de l’ADEA sont déboutées, il existe un nombre significatif de cas où elles obtiennent gain de cause (Eglit, 1997). Qui plus est, et comme nous l’avons déjà dit, un nombre indéterminé de contestations valides donnent lieu à un règlement à l’amiable avant que l’affaire soit portée en justice, ou parfois avant même le dépôt du dossier auprès de l’EEOC. Les clauses de confidentialité étant courantes dans ce type de règlement, il nous est tout simplement impossible de les comptabiliser (Howard, 1995).
Divers éléments plus anecdotiques, de même que des études formelles d’événements survenus sur le lieu de travail, qui revêtent une plus grande importance, viennent aussi corroborer que l’âgisme perdure : « Une étude, publiée en 1993 par le Fair Employment Council of Greater Washington, Inc., a employé la méthodologie de sondage suivante : deux curriculum vitae, l’un correspondant à une personne hypothétique de 57ans, l’autre à une personne hypothétique de 32 ans, ont été adressés à un échantillon aléatoire de 775 grandes entreprises et agences pour l’emploi dans tout le pays. Ces candidatures fictives mettaient en avant des qualifications équivalentes. Néanmoins, le taux de réponses favorables pour le candidat le plus âgé s’est révélé de 25,6% inférieur à celui obtenu par le plus jeune, dans les cas où les entreprises disposaient effectivement de postes vacants. Dans le même ordre d’idées, un magazine grand public, Money Magazine, a récemment [1996] rapporté que “presque cinq cabinets de recrutement de cadres sur dix affirment que l’âge est un critère significatif et négatif pour les entreprises qui étudient la candidature de personnes de 40 à 50 ans, d’après une enquête de 1996 réalisée par Exec-U-Net, groupe de réseaux d’entraide pour les cadres”. » (Eglit, 1997, p. 670) [17].
■ Les forces qui sous-tendent l’âgisme dans le monde du travailComment expliquer la discrimination fondée sur l’âge observée dans le monde du travail, aussi bien avant l’adoption de l’ADEA qu’aujourd’hui ? Le rapport de 1965 du secrétaire au Travail des États-Unis apporte quelques éléments de réponse : « Nous ne constatons aucune preuve tangible […] du dégoût ou de l’intolérance qui existent parfois à l’égard de la race, de la couleur, de la religion ou de l’origine nationale, et qui reposent sur des considérations sans relation aucune avec la capacité à exécuter un travail. Nous constatons des preuves substantielles […] de discrimination reposant sur des suppositions générales non étayées quant à l’influence de l’âge sur les capacités [...] dans le cadre des pratiques de recrutement, sous la forme de limites d’âge spécifiques appliquées à la catégorie des travailleurs âgés. Nous constatons que […] s’agissant des décisions prises en rapport avec le vieillissement et l’aptitude à remplir ses fonctions dans des cas individuels, il peut ou non exister une discrimination fondée sur l’âge, selon les circonstances. » (Wirtz, 1965, p. 5).
En somme, on suppose que les décisions prises par les employeurs sur la base de l’âge ne découlent pas de mauvaises intentions, mais seraient plutôt fondées, du moins dans une large mesure, sur des suppositions concernant l’altération des capacités des travailleurs d’un certain âge à effectuer correctement leur travail. Il convient de vérifier le bien-fondé de ces suppositions.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:26

Capacité des travailleurs âgés à effectuer leur travail
La cause peut-être la plus répandue des décisions négatives prises en fonction de l’âge tient à l’idée selon laquelle les personnes d’un certain âge ne sont pas aptes à effectuer leur travail correctement. S’il existe indéniablement une corrélation entre le vieillissement et la diminution des performances, ces données doivent être évaluées avec prudence.
Premièrement, les individus vieillissent différemment et ne s’adaptent pas tous au vieillissement de la même manière. Aussi toute généralisation est-elle fortement sujette à caution.
Deuxièmement, l’obsolescence des travailleurs, même si on ne l’applique qu’aux plus âgés d’entre eux, est une idée contestable, particulièrement quand on la généralise à l’ensemble de cette population. Deux chercheurs, ayant mené une métaanalyse de la littérature, ont conclu que la relation significative entre l’âge et les performances au travail est extrêmement ténue : « Les psychologues et gérontologues du travail s’intéressent depuis longtemps à la relation entre l’âge et les performances au travail. […] Des études plus récentes ont soit évalué cette relation au moyen de très vastes échantillons de données […], soit recouru à des métaanalyses pour intégrer empiriquement les résultats de nombreuses études plus restreintes. […] Collectivement, ces études, qui portent sur plus de 60000 sujets, font apparaître une relation excessivement ténue entre âge et performances. Cette observation peut, certes, sembler contre-intuitive, mais le grand nombre d’individus qu’elle a pris en compte et l’homogénéité des résultats sur l’ensemble des analyses permettent d’avoir une confiance substantielle dans cette conclusion. » (Eglit, 1997) [18].
Troisièmement, si l’état de santé évolue indéniablement avec l’âge, il n’est pas évident que ce facteur pèse sur les performances au travail. En fait, selon Berkowitz, un certain nombre d’études font état d’une relation non significative. Plusieurs autres ont d’ailleurs montré de meilleures performances chez certains salariés plus âgés, à savoir les employés de bureau et les vendeurs, tant sur le plan de la ponctualité que de la régularité du travail. À l’inverse, l’honnêteté nous force à reconnaître que d’autres études ont mis en avant un recul des performances à mesure que l’on avance en âge pour d’autres professions : imprimeurs, ouvriers d’usine, préposés au tri postal et contrôleurs aériens. On constate en outre une forte corrélation positive entre l’avancée en âge et la gravité des accidents du travail (Berkowitz, 1988).
Quatrièmement, l’absentéisme est moins fréquent chez les travailleurs âgés que chez les jeunes. Cependant, lorsqu’ils sont absents pour raisons de santé, les travailleurs âgés le sont pour des périodes plus longues (Berkowitz, 1988).
Les questions de motivation et de capacités intellectuelles revêtent également une importance significative pour la compréhension de l’âgisme dans le monde du travail. Selon les stéréotypes qui semblent subsister, l’avancée en âge s’accompagnerait à la fois d’un déclin intellectuel et d’une perte d’enthousiasme et de créativité. Néanmoins, l’observation empirique contredit ces clichés dans une large mesure. « S’il est un constat à dresser en terme d’intelligence, c’est que le déclin lié à l’âge est minime pour de nombreuses fonctions intellectuelles [...] [En outre,] il importe de ne pas oublier qu’en l’absence de maladie, la perte de mémoire liée à l’âge qui, on le comprend, est souvent déterminante pour les performances au travail, peut en effet être légère et avoir des répercussions minimes sur les performances » (Fleisher, Kaplan, 1980, p. 151-152). On pense souvent que la capacité d’apprentissage, qui conditionne généralement la capacité à accomplir son travail, est pour ainsi dire le talon d’Achille des personnes âgées. Là encore, les données empiriques évoquées par Fleisher et Kaplan mettent à mal la validité des poncifs. Pourtant, finalement, même s’ils contredisent le stéréotype du déclin, ces constats ne le discréditent pas complètement. En particulier, il semble effectivement exister une certaine corrélation entre l’âge et la motivation : les travailleurs âgés sont moins motivés que les jeunes. Mais on ignore les raisons de ce phénomène et s’il est inéluctable ou simplement contextuel (Fleisher, Kaplan, 1980) [19].
Pour résumer, le cliché du déclin explique sans aucun doute en grande partie le traitement négatif que subissent les hommes et les femmes âgés qui travaillent ou cherchent un emploi. Si cette idée reçue, comme presque toutes les autres, n’est pas objective, elle comporte, comme la plupart, une part de vérité. Compte tenu de certaines données attestant un déclin des capacités fonctionnelles avec l’avancée en âge, et indiquant des absences plus longues, quoique plus rares, du travail, ainsi que de chiffres montrant la gravité supérieure des accidents du travail chez les personnes âgées, on peut légitimement en conclure qu’« il semble exister quelque fondement, de nature statistique, à la discrimination […] » (Berkowitz, 1988, p. 110). Pourtant, ces faits ne sont pas suffisamment convaincants pour justifier une exclusion a priori et encore moins le dénigrement de tous les hommes et femmes âgés au prétexte qu’ils seraient inadaptés au travail. Il semblerait que la solution, pour les employeurs qui veillent à améliorer la condition des travailleurs plus âgés – qu’ils soient par nature bienveillants ou guidés par la crainte de tomber sous le coup des lois contre la discrimination (ou pour ces deux raisons à la fois) –, consiste à utiliser les atouts des plus anciens et à pallier leurs carences.
Il faut toutefois clarifier un point : il ressort, à juste titre, implicitement de l’exposé qui précède concernant l’intérêt qu’il convient de porter aux atouts des travailleurs âgés sur le lieu de travail, et explicitement de la législation et de la jurisprudence des États-Unis, que les employeurs ne sont en aucune façon tenus d’embaucher, de garder ou de promouvoir des personnes qui ne sont pas à même d’accomplir la mission qui leur est confiée. En d’autres termes, le rejet du préjugé fondé sur l’âge n’oblige pas à accepter quelqu’un d’incompétent ou d’inadapté au poste. Le problème apparaît, bien sûr, lorsqu’un différend oppose un requérant à son employeur : il faut alors déterminer si la véritable motivation de la décision de l’employeur était l’inaptitude de la personne ou le préjugé vis-à-vis de l’âge. C’est cette contradiction, et la difficulté qu’éprouvent a posteriori les observateurs extérieurs (à savoir les personnels chargés de l’application de la loi, les avocats et les juges) à deviner les intentions des employeurs, qui expliquent le corpus volumineux des décisions judiciaires en rapport avec l’ADEA aux États-Unis, dont certaines sont discutées ci-dessous.
Les travailleurs âgés et leur coût pour les employeurs
La prévention défavorable des employeurs vis-à-vis des travailleurs âgés tient essentiellement à leur coût. Contrairement aux pays d’Europe occidentale, les États-Unis ne disposent d’aucun organisme d’assurance maladie financé par la collectivité et couvrant l’ensemble de la population : l’assurance maladie constitue un avantage habituellement négocié dans le cadre d’un contrat de travail, payé dans sa totalité ou, plus souvent, en partie par l’employeur. Sachant que le coût des soins n’a cessé de s’alourdir aux États-Unis, et que l’assurance maladie représente en conséquence un poste de dépenses de plus en plus important pour les employeurs, on comprend pourquoi ces derniers peuvent trouver les travailleurs âgés financièrement de moins en moins « intéressants » (Eglit, 2004 [20] ).
Plus précisément, il apparaît que les coûts d’assurance maladie pour les travailleurs âgés sont considérablement plus élevés que ceux des travailleurs plus jeunes. Cette situation s’explique par le fait que les premiers consultent davantage le médecin que les seconds : « Un rapport de 1993 estime qu’en 1994, le coût moyen de l’assurance supporté par les employeurs serait de 3960 dollars pour des hommes de 55 à 64 ans, contre 1500 dollars pour ceux de 25 à 34 ans. En proportion du salaire, les coûts de santé pour les travailleurs âgés devraient s’établir à 14,5%, contre seulement environ 6,1% pour les plus jeunes. » (Clark, 1994, p. 17).
Les statistiques concernant les femmes sont plus ambivalentes. Un modèle a permis de noter une corrélation constante entre le vieillissement et l’accroissement des coûts d’assurance maladie pour les deux sexes; cependant, d’autres estiment que l’assurance maladie pour des travailleuses de 55 à 64 ans coûte moins cher que pour celles de 35 à 54 ans (Clark, 1994).
Le salaire est également un paramètre essentiel qui permet d’expliquer pourquoi les employeurs hésitent à embaucher une personne d’un certain âge. En effet, le salaire augmente généralement avec l’ancienneté. Dans l’ensemble, un individu de 60 ans (tout au moins s’il ne vient pas d’être embauché) travaillera depuis plus longtemps pour son employeur que son collègue de 30 ans. Il s’ensuit que le premier gagnera vraisemblablement plus que le second, même s’ils exercent les mêmes fonctions (Boaz, 1987). C’est donc un raisonnement pécuniaire élémentaire qui peut pousser les employeurs à rejeter des individus plus vieux, et mieux rémunérés, notamment lorsque leur travail peut être effectué sans perte quantitative ou qualitative par un collègue moins chevronné (et donc vraisemblablement plus jeune).
Le coût des retraites, dans le cadre de régimes à prestations définies, peut également placer les travailleurs âgés en situation de désavantage concurrentiel. Avec ces régimes, les prestations servies dépendent du dernier salaire du retraité. Puisque, comme nous venons de l’évoquer, les travailleurs d’âge mûr perçoivent presque certainement une rémunération bien plus élevée que leurs collègues plus jeunes, et plus récemment embauchés, les employeurs font des économies s’ils s’en séparent avant que leurs salaires atteignent leur plafond.
Ces considérations de coûts, avec lesquelles les employeurs doivent jongler, ne peuvent être passées sous silence. Il serait a fortiori absurde de plaider pour une protection absolue des travailleurs âgés si cette protection conduit les employeurs à mettre la clé sous la porte, faisant des travailleurs âgés des « non-travailleurs âgés ». Par ailleurs, le capitalisme effréné, synonyme de liberté totale pour les employeurs, n’est plus de mise depuis longtemps aux États-Unis. À l’évidence, il existe une tension entre la protection de la liberté de l’employeur d’un côté, et la limitation des abus de la part de ce dernier de l’autre. Le politique cherche un compromis délicat entre ces deux pôles. Ainsi, l’ADEA, comme de nombreux autres aspects du droit du travail, empêche les employeurs d’agir en fonction de motivations purement capitalistiques lorsque l’intérêt des travailleurs âgés est en jeu, quand, dans le même temps, elle offre aux employeurs une certaine latitude pour prendre, malgré tout, l’âge en compte.
Plus spécifiquement, l’ADEA s’efforce de remédier au problème du coût des pensions que doivent supporter les employeurs pour les travailleurs âgés, éliminant par là même la tentation de licencier ces derniers, en conférant une légitimité au principe coût égal/prestation égale (equal cost/equal benefit) : « Après son adoption, l’ADEA a été interprété par les organismes chargés de son exécution […] comme permettant aux employeurs de prendre en compte […] le différentiel de coût des prestations sans enfreindre la loi. Des amendements apportés à l’ADEA en 1990 ont transposé ces interprétations administratives dans la législation : tant qu’un employeur dépense la même somme pour l’assurance maladie ou l’assurance vie de chacun de ses salariés, il n’enfreint pas l’ADEA, même s’il s’avère que la couverture effectivement apportée diffère entre un salarié jeune et un plus âgé. Autrement dit, conformément au principe “coût égal/prestation égale” inscrit dans la législation, il suffit, sur le plan juridique, qu’un employeur dépense, par exemple, 1000 dollars d’assurance maladie pour chacun de ses salariés, qu’ils aient 25 ou 55 ans, même si ces 1000 dollars correspondent à une couverture moindre pour les plus âgés. » (Eglit, 1997, p. 688-689).
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:27

Une autre concession a également été accordée aux employeurs en matière de salaires, question de premier plan du fait que les salariés âgés sont généralement mieux rémunérés que leurs collègues plus jeunes. La législation et la jurisprudence s’accordent pour rendre parfaitement légal un renvoi sur un critère de salaire – du moins tant que c’est bien le salaire, et non l’âge, qui motive la décision de l’employeur. Plus précisément, l’ADEA permet à un employeur d’agir sur la base de « facteurs raisonnables autres que l’âge » [21] et ce, malgré la corrélation positive habituelle que l’on retrouve entre vieillissement et salaires plus élevés : un licenciement justifié par des économies permises par le départ d’une partie ou de la totalité des salariés les plus coûteux ne transgressera pas l’interdiction de discrimination fondée sur l’âge inscrite dans la loi, même si la plupart des personnes les mieux payées qui sont licenciées, voire toutes, se trouvent être aussi les plus âgées.
Il fut un temps où cette conclusion n’était pas si évidente : certains tribunaux souhaitaient utiliser une analyse par variable de substitution de l’âge (“age proxy” analysis), qui leur permettait de constater une violation de la loi lorsqu’un critère étroitement lié à l’âge (tel que le niveau de salaire) avait été utilisé par un employeur comme une valeur de substitution – du point de vue de la Cour – pour l’âge en tant que tel. Néanmoins, en 1993, la Cour suprême a mis un terme au recours à ce mode d’analyse dans l’affaire Hazen Paper Co. v. Walter F. Biggins [22]. Celle-ci concernait un homme de 62 ans qui avait été licencié seulement quelques semaines avant la date à laquelle ses droits à pension auraient dû être considérés comme acquis (c’est-à-dire la date à laquelle il aurait dû obtenir la garantie juridique de recevoir cette pension quand il prendrait sa retraite), conformément au régime de retraite de l’entreprise qui prévoyait l’acquisition de droits après dix ans passés au service de l’entreprise. Puisque l’ancienneté (dix ans d’activité dans la société) est liée à l’âge (effectivement, une personne de 25ans a peu de chances d’avoir travaillé dix ans dans l’entreprise), il y avait – d’après les tribunaux de rang inférieur – une corrélation juridiquement significative entre l’âge et l’acquisition de droits à pension, si bien que le licenciement de M. Biggins par l’entreprise pour éviter que ses droits ne lui soient acquis équivalait à de la discrimination fondée sur l’âge. La Cour suprême en a disconvenu et a invalidé les décisions des juridictions inférieures, démontant l’argument fondé sur la variable de substitution à l’âge : « Une analyse du traitement disproportionné [discriminatoire] [...] saisit l’essence de ce que le Congrès cherchait à éviter en faisant appliquer l’ADEA. Pour un salarié âgé, c’est l’essence même de la discrimination en fonction de l’âge que d’être licencié parce que son employeur estime que la productivité et la compétence diminuent avec l’âge. Lorsque la décision de l’employeur est entièrement motivée par des critères autres que l’âge, le problème des stéréotypes inexacts et stigmatisants disparaît. Cela se vérifie même si la raison principale est corrélée à l’âge, comme l’est en général la situation par rapport à la retraite. En moyenne, un salarié âgé travaille depuis plus longtemps que quelqu’un de plus jeune; il aura donc vraisemblablement accumulé davantage d’années de service [paramètre typiquement corrélé au droit à pension] dans une entreprise donnée. Pourtant, l’âge d’un salarié est analytiquement distinct de son ancienneté. Une personne de moins de 40 ans, et qui n’est donc par couverte par l’ADEA [...] peut avoir travaillé pour un seul et même employeur, tandis qu’un travailleur plus âgé peut être nouvellement embauché. Parce que l’âge et l’ancienneté sont analytiquement distincts, un employeur peut tenir compte de l’un et pas de l’autre; il est donc inapproprié de considérer qu’une décision fondée sur le nombre d’années de service est nécessairement “fondée sur l’âge”» [23].
S’appuyant sur cette argumentation, la Cour a conclu que M. Biggins n’avait pas été victime de discrimination fondée sur l’âge, parce que « le stéréotype interdit (“les travailleurs âgés sont susceptibles d’être ____”) n’apparaissait pas dans cette décision, et la stigmatisation qui en découle n’existait donc pas. La décision n’était pas le résultat d’une généralisation inexacte et dénigrante concernant l’âge » [24].
La position de la Cour suprême, en 2005, dans l’affaire Smith v. City of Jackson [25], qui a affirmé que l’analyse de l’impact disproportionné s’applique au contexte de l’ADEA, ne justifie pas que l’on s’écarte de la distinction opérée dans Hazen Paper entre, d’un côté, la discrimination en fonction de l’âge et, de l’autre, la prise de décision fondée sur le salaire. Dans la mesure où l’analyse d’impact constitue un aspect très controversé de la législation américaine antidiscrimination, et parce qu’en théorie elle peut (ou pouvait) revêtir pour les victimes de discrimination fondée sur l’âge une importance significative, il convient d’apporter quelques explications complémentaires et, en premier lieu, d’étudier le pendant de l’ADEA : le Titre VII de la loi de 1964 sur les droits civils.
Voilà plus de trente ans, la Cour suprême des États-Unis a déclaré qu’un employeur peut être jugé coupable de violation du Titre VII s’il utilise une politique ou un critère en apparence neutre qui se révèle avoir un effet significativement négatif sur les membres d’une catégorie protégée aux termes du Titre VII, à savoir des personnes victimes de discrimination sur des critères de race, de couleur, d’origine nationale, de religion et de sexe. Ainsi, si un employeur s’appuie sur les résultats d’une épreuve d’haltérophilie pour décider qui embaucher, et que nettement plus de femmes que d’hommes échouent à cette épreuve, il peut être déclaré coupable de discrimination. Le fait que l’employeur n’ait eu aucune intention de discrimination lorsqu’il a défini ce critère d’haltérophilie est non pertinent. Dans sa décision de 1971 sur l’impact (Griggs v. Duke Power Co. [26] ), qui a fait école, la Cour a écrit : « Lorsque le Congrès a adopté le Titre VII, son objectif […] était de parvenir à l’égalité en terme d’opportunité d’emploi et d’éliminer les obstacles qui ont, dans le passé, joué en faveur d’une catégorie identifiable de salariés blancs, au détriment des autres. Aux termes de la loi, les pratiques, procédures ou critères neutres en apparence, ou même dans l’intention, ne peuvent être maintenus s’il apparaît qu’ils pérennisent des pratiques d’emploi préalablement discriminatoires. [...] La loi proscrit non seulement les pratiques ouvertement discriminatoires, mais aussi celles qui sont équitables dans la forme, mais discriminantes dans les faits. La pierre de touche, ce sont les impératifs de l’entreprise. Si l’on ne peut prouver qu’une pratique d’embauche qui se révèle exclure les Noirs est justifiée par des performances au travail, cette pratique est illicite » [27].
Supposons maintenant qu’un employeur ait pour politique de licencier toute personne susceptible de percevoir un salaire de 100000 dollars. Supposons en outre que cette politique ait une répercussion négative significative disproportionnée sur les travailleurs âgés, puisque la possibilité d’obtenir ce salaire est liée à l’ancienneté et que seuls les travailleurs âgés auront à leur actif le nombre d’années de service suffisant pour y prétendre. Une analyse classique de la conséquence disproportionnée tendrait vraisemblablement à montrer que l’employeur a adopté une politique abusive, même si elle n’était pas motivée par une intention discriminatoire. Mais la décision de la Cour, dans l’affaire City of Jackson, d’adopter une lecture très respectueuse des arguments susmentionnés sur les facteurs raisonnables autres que l’âge a eu pour effet de réduire la portée, déjà limitée, de l’analyse d’impact que la Cour avait insufflée dans l’ADEA. En vertu de cette lecture, et bien que la Cour ait adopté une version édulcorée de l’analyse de l’impact, le licenciement d’un travailleur plus âgé en raison de son salaire élevé sera considéré comme un facteur raisonnable autre que l’âge, de sorte que l’argument de l’impact disproportionné ne sera pas valable.
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:27

Analyse constitutionnelleLa très grande majorité des décisions de justice relatives à des discriminations fondées sur l’âge dans le monde du travail font intervenir des interprétations et des applications de l’ADEA, qui s’imposent aux employeurs du secteur privé et public. Cependant, les plaignants qui travaillent pour des employeurs du secteur public peuvent aussi engager un recours ne relevant pas du droit du travail : ils peuvent invoquer la Constitution des États-Unis dont la disposition sur l’égalité de la protection (Equal Protection Clause) s’applique aux administrations des États et aux autorités locales (mais pas aux employeurs privés, c’est-à-dire aux sociétés de capitaux et de personnes, etc.). Examiner la jurisprudence relative à l’égalité de la protection permet de faire le point sur les réflexions qui animent non seulement la Cour suprême des États-Unis, mais aussi les tribunaux fédéraux de rang inférieur, concernant le rôle que doit tenir l’âge sur le lieu de travail (Eglit, 1981).
La clause de l’égalité de la protection contenue dans le Quatorzième amendement à la Constitution des États-Unis précise qu’aucun État ne doit « refuser à quiconque au sein de sa juridiction l’égalité de la protection par les lois ». Ajouté à la Constitution en 1868, cet amendement visait surtout, initialement, la protection des anciens esclaves récemment affranchis, qui pensaient que la liberté que leur avait apportée la victoire du Nord lors de la guerre de Sécession était à nouveau menacée par un ensemble de textes et de pratiques adoptés et imposés ultérieurement par les États du Sud vaincus. Pendant cent ans, la disposition sur l’égalité de la protection a été invoquée presque exclusivement dans des recours contre des discriminations attribuées à des considérations de race ou d’origine nationale, cette dernière étant perçue comme intimement liée à la race. Mais à partir des années soixante et même encore aujourd’hui, dans une certaine mesure, la Cour suprême, parfois attachée aux droits civils, et certains tribunaux d’appel d’échelon inférieur partageant le même état d’esprit, ont élargi la portée de cette disposition, poussés par les avocats imaginatifs et offensifs des requérants, ainsi que par la mutation des valeurs sociales. Cependant, si cet élargissement observé au cours des quarante dernières années a surtout permis d’obtenir la condamnation juridique de la discrimination fondée sur le sexe, les tentatives de s’en prévaloir comme d’une protection par les victimes de discriminations fondées sur l’âge ont échoué.
On peut citer à ce propos quatre grandes décisions, dont trois portent sur des personnes qui ont été jugées trop âgées pour conserver leur emploi – s’agissant des mineurs, les tribunaux considèrent habituellement qu’ils ne sont pas en droit de bénéficier de l’intégralité des protections prévues par la Constitution à l’endroit des adultes, en raison « de la vulnérabilité particulière des enfants, de leur incapacité de prendre des décisions essentielles de manière éclairée et avec maturité, et de l’importance du rôle parental dans l’éducation des enfants » [28]. La première de ces décisions, Massachusetts Board of Retirement v. Murgia [29], est particulièrement significative car elle met en lumière les paramètres analytiques auxquels les décisions suivantes ont adhéré.
Dans l’affaire Murgia, un agent de la police d’État a été contraint de prendre sa retraite à l’âge de 50ans, en vertu d’une loi votée dans cet État concernant la retraite obligatoire. L’agent de police a affirmé qu’il ne fallait pas appliquer à cette loi le degré d’examen juridictionnel très faible, se bornant à demander s’il existe un fondement rationnel concevable pour la loi en question. L’agent Murgia a exhorté la Cour suprême à appliquer le degré d’examen plus strict mis en œuvre pour l’évaluation des lois opérant une distinction fondée sur la race et l’origine nationale. Pour utiliser le jargon juridique, il a affirmé que l’âge constituait une classification « suspecte ».
La Cour a répondu en précisant tout d’abord les critères qu’elle avait retenus pour l’identification des catégories suspectes : « Une catégorie suspecte est une catégorie “qui souffre d’incapacités, d’antécédents d’inégalité de traitement délibérée ou d’une situation d’impuissance politique tels qu’elle requiert une protection extraordinaire contre le processus politique majoritaire”» [30]. La Cour a ensuite appliqué ces critères aux classifications liées à l’âge et a conclu que ces classifications ne méritaient pas d’être qualifiées de suspectes : « Si dans ce pays, le traitement des personnes âgées n’est pas entièrement exempt de discrimination, ces personnes, contrairement à celles qui pâtissent de discriminations fondées sur la race ou l’origine nationale, par exemple, n’ont pas “d’antécédents d’inégalité de traitement délibéré” ou ne souffrent pas d’incapacités spécifiques motivées par des caractéristiques stéréotypées qui ne sont pas vraiment indicatives de leurs capacités [...]. L’âge avancé ne définit pas une catégorie “discrète et isolée” [...] requérant une “protection extraordinaire contre le processus politique majoritaire”. Il représente au contraire une étape que chacun de nous atteint s’il va au bout de la durée de vie normale » [31].
Dans l’ensemble, il paraît justifié de conclure que Murgia et ses avocats sont allés trop loin : l’analogie entre la catégorie suspecte classique pour laquelle la clause d’égalité de la protection a initialement été prévue, c’est-à-dire les Afro-Américains, et ceux qui sont jugés trop vieux était, et reste, trop ténue pour emporter l’adhésion. Il n’existe aucun antécédent de traitement défavorable des personnes âgées qui puisse être comparé aux injustices énormes infligées aux Noirs et à certaines minorités ethniques aux États-Unis. Les personnes âgées (et a fortiori celles qui ne sont pas encore au seuil de cette catégorie, telles que M.Murgia qui avait alors 50 ans) n’ont pas non plus subi autant de privations de capacités imposées par les sphères politique et sociale [32].
Quelques années après l’affaire Murgia, la Cour suprême a confirmé l’obligation de départ en retraite imposée aux agents du United States Foreign Service dans l’affaire Vance v. Bradley [33], en justifiant cette obligation par un argument supplémentaire qui n’avait pas été invoqué dans Murgia : contraindre les gens à la retraite lorsqu’ils ont atteint l’âge de 60 ans est parfaitement raisonnable, car il faut faire de la place pour permettre aux jeunes du service de faire carrière. L’autre explication postérieure à Murgia pour ce refus de reconnaître la discrimination fondée sur l’âge est de nature stratégique, comme le révèle l’affaire City of Cleburne v. Cleburne Living Center [34], déclenchée par le refus de la ville de délivrer un permis spécial pour la construction et l’exploitation d’une maison collective pour handicapés mentaux dans un quartier où de telles activités n’étaient pas planifiées. La Cour suprême a rejeté l’argument selon lequel cette attitude, qui opérait une prétendue discrimination à l’encontre de ces personnes, devait être perçue comme incarnant une classification quasi suspecte qui appelait un degré d’examen juridictionnel plus poussé que l’examen minimum traditionnel. Ce faisant, la Cour a pris pour justification l’argument proverbial de la « pente savonneuse » (slippery slope argument), très fréquent dans les raisonnements juridiques américains : « Si la catégorie vaste et informe des handicapés mentaux était réputée quasi suspecte [...], il serait difficile de trouver une manière raisonnée de considérer différemment diverses autres catégories qui présentent peut-être des incapacités immuables qui les séparent des autres, qui ne peuvent pas mandater par eux-mêmes la réaction législative souhaitée et qui peuvent faire état d’un certain préjugé de la part d’une partie du grand public au moins. À cet égard, il suffit de mentionner les personnes âgées, les handicapés, les malades mentaux et les infirmes. Nous sommes réticents à nous engager sur cette voie, et nous nous y refusons » [35].
Si la Cour suprême n’a pas fait une telle déclaration en 1976, lorsqu’elle a tranché l’affaire Murgia, il est probable que ce même souci de ne pas s’engager sur une pente savonneuse ait été présent en arrière-plan : si la Cour avait ouvert la porte à un traitement spécial pour les « personnes âgées » en vertu de la Constitution, d’autres catégories auraient inévitablement réclamé le même traitement, éventualité à laquelle la Cour n’était certainement pas plus favorable en 1976, au moment de l’affaire Murgia, qu’en 1985, avec Cleburne.
La dernière décision importante de la Cour est celle prise dans l’affaire Gregory v. Ashcroft [36], dans laquelle elle avait à se prononcer sur une disposition de départ en retraite obligatoire contenue dans la Constitution d’un État et imposant aux juges de cesser d’exercer à l’âge de 70 ans. À cette époque-là, les officiers de justice de l’État du Missouri étaient nommés par le gouverneur et pouvaient par la suite tenter de conserver leur poste en soumettant la question au vote des électeurs. Dans Gregory, chacun des demandeurs avait été maintenu à son poste par les électeurs mais, en raison de la disposition contenue dans la Constitution de cet État, ils avaient été contraints de cesser d’exercer à leur 70e anniversaire. Le cas de ces juges était donc quelque peu différent de celui des « salariés » qui restent en poste grâce au bon vouloir de leur employeur plutôt que par la volonté des électeurs. Néanmoins, la décision de la Cour suprême de confirmer la disposition de la Constitution de l’État, et donc de donner tort aux juges, est riche d’enseignements, car elle ajoute aux analyses effectuées dans Murgia et Vance un nouvel argument fréquent pour justifier le recours au critère de l’âge comme base de décision dans le monde du travail : la difficulté de procéder à des déterminations de compétences individualisées.
« La loi écrite trace une ligne à un certain âge, qui tente de préserver le niveau de compétence élevé requis pour les fonctions judiciaires et qui répond à la demande sociétale des juges les plus chevronnés pour le système »; « la loi écrite [...] trace une ligne légitime pour nous éviter d’avoir à prendre la décision pénible, et souvent embarrassante, de déterminer quels juges, après un certain âge, remplissent les critères physiques et mentaux requis et quels autres ne les remplissent pas »; « l’âge de départ à la retraite obligatoire multiplie les opportunités, pour les personnes présentant les critères requis, [...] de participer au système judiciaire et permet une usure harmonieuse, via les départs en retraite »; « n’importe laquelle de ces explications suffit à rejeter l’affirmation selon laquelle “le traitement variable de différentes catégories ou personnes [...] est si dissocié de la réalisation de tout ensemble d’objectifs légitimes que nous ne pouvons que conclure que les actions étaient irrationnelles”» [37].
En résumé, la Cour suprême des États-Unis (dont, soit dit en passant, les neuf juges sont nommés à vie) a toujours rejeté les contestations fondées sur la constitutionnalité du recours à l’argument de l’âge dans le monde du travail. Tout ce qu’elle a demandé, depuis Murgia jusqu’à aujourd’hui, c’est que la décision ou l’action de l’employeur soient assorties d’un minimum de rationalité. Comme le révèle un examen de la jurisprudence, que ce soit dans le contexte de la discrimination fondée sur l’âge ou dans d’autres contextes, cette condition de rationalité est presque toujours remplie. En fait, les décisions de la Cour suprême montrent que ce critère est si déterminant aux yeux du décideur (l’employeur, dans le cas qui nous occupe) que sa décision sera confirmée si un quelconque fondement rationnel concevable peut être invoqué, si ce n’est par le décideur, du moins par le tribunal lui-même (Eglit, 2004). Pourquoi ? Les tribunaux des États-Unis, et la Cour suprême la première, sont-ils spécialement hostiles à l’extension de la protection constitutionnelle aux personnes considérées comme trop âgées ?
La réponse semble résider dans la conception que se fait la Cour suprême de son rôle au sein la société américaine. Si cette Cour, et les tribunaux fédéraux de rang inférieur qui s’inscrivent dans son sillage, ont le pouvoir d’invalider les lois fédérales, des États et des municipalités, ils sont en fait réticents à exercer ce pouvoir. En effet, le pouvoir de contrôle juridictionnel est perçu comme antidémocratique : il place des juges fédéraux, nommés à vie, en position d’interpréter a posteriori l’intention des législateurs, élus par le peuple, qui élaborent nos lois, et les présidents, gouverneurs d’État et maires des villes, élus par le peuple, qui promulguent ces lois. En l’absence de raisons historiques, sociales ou politiques très fortes pour invalider une loi donnée, les tribunaux la confirmeront, témoignant ainsi respect et attachement au processus démocratique majoritaire qui a donné lieu à l’adoption de la loi en question. Et donc, pour ce qui est des lois traitant de l’âge, la Cour suprême a en effet déclaré : « Rien ne justifie d’annuler le processus démocratique et de substituer notre vision d’une bonne société à celle qui est incarnée par les lois imposant une sorte de fardeau, généralement l’obligation de départ en retraite, aux hommes et aux femmes âgés. » Cette posture judiciaire porte implicitement l’idée que si l’on doit condamner un certain recours à l’argument de l’âge dans le monde du travail, cette condamnation doit passer par le processus démocratique, c’est-à-dire par la législation. Et c’est en réalité exactement ce qui se produit. Les travailleurs âgés peuvent obtenir gain de cause en raison de leur nombre même, de l’intérêt politique de leur cause et de leur capacité à rallier le soutien d’autres catégories. Ainsi, comme indiqué plus haut, chaque État, ainsi que l’État fédéral, a adopté une loi limitant sévèrement le recours à l’argument de l’âge dans le monde du travail, au point qu’à l’échelon fédéral, l’ADEA a fini par être amendé en 1986 afin d’interdire dans la plupart des cas cette même obligation de départ en retraite motivée par l’âge que tolère la Constitution, telle qu’interprétée par la Cour suprême [38].
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MessageSujet: Re: agisme   agisme Icon_minitimeVen 28 Déc - 13:28

Préjudices fondés sur l’âge infligés aux jeunes Par leur coutume et leur droit, les États-Unis ont une longue histoire d’utilisation des enfants dans le monde du travail (Hindman, 2002). Aux premières heures du pays, lorsqu’une grande partie de la population travaillait dans l’agriculture et en vivait, les enfants faisaient partie de l’unité de travail représentée par l’exploitation. Au XIXe siècle, avec l’industrialisation du pays, l’emploi des enfants, particulièrement des nouveaux immigrants, dans les usines, n’était pas rare. Cette situation s’est poursuivie jusqu’au début du XXe siècle. Mais au lieu que ce recours à la main-d’œuvre enfantine soit généralement perçu comme une exploitation abusive, « l’opinion populaire pendant [la période coloniale et même après, pensait] que l’emploi rémunéré des enfants des “classes inférieures” profitait [sic] en fait aux familles pauvres et à la collectivité dans son ensemble » [39].
Toutefois, malgré l’ampleur de ce phénomène aux pires heures de l’exploitation des enfants, on avait conscience qu’il y avait quelque chose de répréhensible à les consigner à des tâches avilissantes dans les mines, les usines et les ateliers. Ainsi, dès les années 1830, de nombreux États avaient voté des lois restreignant ou interdisant le travail des jeunes enfants, au moins dans les filatures et les usines [40]. En 1899, quarante-quatre États avaient adopté une législation traitant du travail des enfants (d’Avolio, 2004).
Pendant les premières décennies du XXe siècle, le travail des enfants est devenu un sujet politique national. Certains syndicats s’y opposaient car les jeunes représentaient une main-d’œuvre susceptible de faire concurrence aux travailleurs syndiqués. D’autres, plus directement préoccupés par le bien des jeunes, refusaient qu’ils travaillent en raison des abus et des privations dont ils étaient victimes. Cependant, les tentatives de réforme ont échoué au niveau fédéral car, à l’époque, la Cour suprême avait une conception étroite des pouvoirs du Congrès et a donc contré les efforts législatifs fédéraux destinés à prohiber, ou à limiter, cette pratique [41]. De même, les tentatives d’amender la Constitution n’ont pas abouti [42]. Toutefois, au niveau local, de nombreux États ont pris des mesures : en 1912, trente-quatre États avaient adopté de nouvelles lois sur le travail des enfants ou amendé leurs textes existants afin d’encadrer plus strictement le recours aux enfants dans le monde du travail. Visiblement, ces lois n’ont cependant pas été très efficaces, en raison de carences internes et/ou de la résistance opiniâtre opposée par les employeurs à leur application (d’Avolio, 2004). Il a fallu que l’État fédéral intervienne énergiquement et, en 1938, le Congrès a voté le Fair Labor Standards Act (FLSA), dont la Cour suprême – ses membres et ses inclinaisons politiques avaient entre-temps changé – a confirmé la constitutionnalité en 1941 [43]. En réalité, au moment de l’adoption du FLSA, l’utilisation du travail des enfants avait déjà considérablement reculé (Moehling, 1999). De plus, certaines données indiquent que ce n’est pas la réforme de la législation au niveau des États et de la fédération qui en est responsable, mais plutôt l’évolution de la situation socio-économique qui s’est amorcée à la fin du XIXe siècle, qui a fait diminuer le recours à ce gisement de main-d’œuvre [44].
Le FLSA, amendé à plusieurs reprises depuis 1938, interdit en général l’emploi des enfants de moins de 14 ans. Il autorise les jeunes de 14 et 15ans à travailler en dehors des heures d’école pendant au maximum trois heures par jour et dix-huit heures par semaine en période de classe, et pendant au maximum huit heures par jour et quarante heures par semaine pendant les vacances. Les mineurs de 16 et 17 ans peuvent être embauchés pour un nombre d’heures illimité, mais il est interdit à tout mineur (c’est-à-dire à toute personne âgée de moins de 18ans) de travailler dans dix-sept catégories d’emplois dangereux, par exemple le travail dans les mines de charbon, les activités de bûcheron et les emplois entraînant une exposition à des substances radioactives [45]. La législation fédérale estime en revanche que le travail des enfants dans l’agriculture est beaucoup plus acceptable, si bien que des enfants ayant tout juste 10 ou 11 ans sont autorisés à travailler en dehors des heures de classe dans l’exploitation possédée ou gérée par leurs parents ou dans toute autre exploitation à condition qu’ils aient le consentement écrit d’un de leurs parents.
Nonobstant le FLSA et la législation des États, l’idée qu’il est acceptable, voire souhaitable, que les enfants, pauvres ou non, jouent un rôle dans le monde du travail aux États-Unis reste bien ancrée. La prévalence du travail des jeunes est donc spectaculaire de nos jours : « Dans les années quatre-vingt-dix, la proportion des étudiants qui travaillaient était deux fois plus grande que dans les années cinquante. En 2001, on estimait que 3,7 millions d’adolescents de 15 à 17 ans occupaient un emploi aux États-Unis. De même, un grand nombre d’enfants de moins de 15 ans travaillaient à cette date. Les États-Unis affichent le pourcentage le plus élevé d’enfants qui travaillent de tout le monde développé : beaucoup travaillent pendant de nombreuses heures, y compris en période scolaire. » (Moskowitz, 2004, p. 1071) [46].
Les conditions de travail actuelles d’un grand nombre d’enfants suscitent des interrogations. Les restrictions prévues par la législation fédérale sur l’emploi des jeunes sont assez laxistes et, selon un analyste du terrain, « ce laisser-faire [concernant le travail des enfants] domine aussi […] au niveau [des États]» [47]. De plus, à son avis, même les restrictions qui sont effectivement prévues dans le FLSA et les nombreux textes adoptés par les États sont mal appliqués [48]. Les possibilités d’abus sont particulièrement importantes dans le cas des enfants travaillant dans l’agriculture : « Approximativement 800000 à 1,5 million d’enfants de 5 à 15 ans travaillent dans des conditions pénibles dans le secteur agricole aux États-Unis. L’agriculture est l’une des activités les plus dangereuses pour les travailleurs dans ce pays. Ces enfants travaillent souvent douze heures par jour, effectuent des tâches physiques difficiles et risquent de tomber malades en raison de la chaleur et de l’exposition aux pesticides, mais aussi de souffrir de blessures graves et d’une incapacité permanente. Leur espérance de vie n’est que de quarante-neuf ans. Quarante-cinq pour cent de ces enfants abandonnent l’école et sont condamnés à une vie de dur labeur dans les champs. Les lois actuelles permettent cette exploitation en exemptant les enfants employés dans l’agriculture des dispositions sur l’âge minimum et la durée maximum du travail que le Congrès a adoptées pour protéger les enfants en général. » (Corlett, 2002, p. 713).
Outre les conditions de travail et les risques encourus, il faut aussi s’intéresser au problème de la rémunération. Le salaire horaire minimum défini au niveau fédéral pour le travailleur adulte aux États-Unis s’élève (à l’heure où cette contribution est rédigée) à 5,15 dollars, bien que de nombreux États aient voté une loi majorant ce salaire minimum sur leur propre territoire [49]. Pour les salariés de moins de 20 ans, le minimum fédéral s’établit toutefois à 4,25 dollars de l’heure pendant leurs quatre-vingt-dix premiers jours calendaires consécutifs de travail chez un employeur donné. De plus, il n’existe aucun salaire minimum fédéral pour les jeunes aidant leur famille dans l’agriculture !
En résumé, aux États-Unis, le travail des enfants est réglementé, mais certainement pas interdit. En raison des lacunes de la réglementation, le traitement abusif des enfants dans le monde du travail n’appartient pas forcément au passé. De surcroît, le débat sur le sujet est pratiquement inexistant dans les médias de large audience et il semble bien qu’il n’intéresse pas l’opinion publique.
Lorsque l’on passe des enfants aux adultes, très peu de preuves empiriques permettent d’affirmer que les adultes réputés trop jeunes font l’objet de discriminations. Il convient toutefois de veiller à ne pas confondre le préjugé lié à l’âge avec d’autres considérations qui ont leur place dans le monde du travail : puisque l’expérience de la vie en général, et du travail en particulier, est corrélée à l’âge, c’est-à-dire que plus on est vieux, plus on est susceptible d’avoir de l’expérience, dans un environnement de travail valorisant l’expérience, ceux qui sont trop jeunes seront pénalisés (mais cet effet s’atténuera au fil du temps). Toutefois, ce handicap n’est pas directement fondé sur l’âge, même si l’inexpérience constituera souvent une variable de substitution tout à fait acceptable pour la jeunesse. Mais existe-t-il vraiment un préjugé purement fondé sur l’âge s’opérant au détriment des adultes considérés comme trop jeunes dans le monde du travail ? Il n’est certainement pas déraisonnable de supposer qu’à une occasion ou une autre, quelqu’un se verra refuser un emploi ou une promotion parce qu’il est perçu comme trop jeune pour être capable de remplir la fonction, peut-être par manque d’expérience, mais peut-être aussi parce qu’il risquerait de s’attirer l’hostilité de ses subordonnés plus âgés (Lancaster, Stillman, 2002), ou peut-être parce que sa jeunesse s’accompagne d’une certaine légèreté l’empêchant d’assumer correctement les fonctions en question. En tout état de cause, les problèmes que les adultes peuvent rencontrer parce qu’ils sont trop jeunes, situation dont ils finiront forcément par sortir, semblent mineurs, tout au plus.
■ Conclusion Il faut reconnaître que les États-Unis comptent parmi les premiers pays développés à s’être attaqués aux pratiques abusives fondées sur l’âge dans le monde du travail, touchant les jeunes comme les personnes âgées. Faut-il aller plus loin ? Naturellement. Néanmoins, tant que les préjugés liés à l’âge qui imprègnent les attitudes et les perceptions des Américains persisteront, le monde du travail ne saura en être exempt.
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